Les Français et leur vin – Soif d’ailleurs avec Nadia
par Nadia Fournier
Si vous suivez ne serait-ce que distraitement l’actualité du vin, vous ne pouvez avoir manqué la saga qui se poursuit dans les médias français, suite aux déclarations de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, à propos du vin. Une tempête dans un verre de vin, comme seule la France peut en produire.
Invitée à débattre sur le thème « l’Alcool, un tabou français? » à l’émission de Julien Bugier sur la chaîne France 2, le 7 février, la ministre a déclaré : « L’industrie du vin laisse croire aujourd’hui que le vin est différent des autres alcools. En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka ou du whisky. »
Depuis, il ne se passe pas une journée sans qu’un article ou une chronique d’opinion alimente le débat. Certains experts en santé publique saluent les propos d’Agnès Buzyn, d’autres les condamnent, accusant la ministre de reléguer le French Paradox au statut de fakes news et ceux qui la soutiennent de donner dans le « puritanisme » et la « bigoterie ». De l’autre côté, les défenseurs du vin se font traiter de « gaullistes » et de « réactionnaires ».
Et tandis que Emmanuel Macron réitère son soutien aux vignerons français et dit boire « du vin le midi et le soir » – c’est d’ailleurs la première fois depuis Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) que le Président se prononce ouvertement en faveur de la consommation de vin – le très respecté Jacques Dupont, auteur et chroniqueur-vin au magazine Le Point, parle de « dictature de l’hygiénisme » et invite la ministre à considérer aussi « le poids de “l’industrie du médicament” ». Et vlan! Le Français a le sens de la répartie et il sait jouer dur dans les coins.
En plus d’être hautement divertissante, cette crise (de foie) permet d’ouvrir le débat sur la place du vin dans la France d’aujourd’hui, mais aussi sur le rôle que devrait (ou pas) jouer l’État dans l’encadrement de sa consommation et de sa promotion – débat qui trouve déjà écho au Québec. Elle nous pousse aussi à nous demander, en toute bonne foi, en quoi le vin est-il vraiment différent des autres alcools?
Il existe une réponse scientifique précise à cette question pas si compliquée, mais j’ai du mal à l’entendre. Ma mauvaise foi m’empêche encore de réduire le vin aux seules molécules d’éthanol qu’il contient. Parce que le vin est ancré dans notre culture. Parce que le vin a une dimension historique, culturelle et surtout sociale.
Je n’ai aucun problème à m’ouvrir une bière quand je suis seule. Même chose pour un verre de scotch, de pastis ou de Campari, mais pas de vin. Je trouve le vin triste sans compagnie. Un peu comme pour les huîtres: sans la notion de partage, c’est juste moins bon. Je n’y peux rien, mon cerveau est ainsi fait.
Mais comment expliquer ça à quelqu’un qui ne comprend ni le plaisir que procure un vin fin (pas forcément cher) ni les joies du partage? Et comment s’entendre sur un sujet si vaste avec ces gens qui, pour reprendre les mots de Jacques Dupont, « ne font pas la différence entre un concert de klaxon un jour d’embouteillage et le deuxième mouvement Allegretto de la septième symphonie de Beethoven »?
« Tout cela, résumait l’auteur, c’est du bruit… »
À boire!
On reconnaît d’abord les cuvées de la famille Vaira (G.D. Vajra) à leurs jolies étiquettes, dessinées pour la plupart par Gianni Gallo, un artiste des Langhe dans la région du Piémont, mais on les apprécie – et on y revient – surtout pour la qualité des vins et pour leur caractère authentique.
À peine on plonge le nez dans le verre du Dolcetto d’Alba 2016 qu’on y retrouve l’expression pure et inaltérée du cépage piémontais dolcetto, parfois malmené par des vignerons trop ambitieux, qui essaient d’en faire des monstres de concentration. Aucun artifices ici. Plutôt un vin taillé sur mesure pour la table, à servir légèrement rafraîchi, autour de 15-16 °C. (23,90 $)
Taillé du même bois, le Barbera d’Alba 2015 présente une attaque tendre et ronde, avec en prime, des notes de poivre noir, une saine acidité, une pointe d’amertume et des tanins qui se resserrent en finale. Un délicieux exemple d’une barbera authentique, sans maquillage. Arrivée en succursales prévue au courant du mois de mars. (27,30 $)
Misant à fond sur le naturel fruité des cépages locaux barbera, dolcetto, nebbiolo et albarossa, ainsi que sur la structure et la vigueur du nebbiolo – le cépage des barolo et barbaresco – le Langhe Rosso 2015 séduit lui aussi par son attaque en bouche mûre. Encore plus agréable après une aération d’une demi-heure, en accompagnement de pasta al ragu. (22,70 $)
Disponible sur le marché depuis quelques années, le Barolo Albe est particulièrement complet en 2012. Fruit d’un assemblage de nebbiolo de trois parcelles – Coste di Vergne, Fossati et La Volta – toutes situées dans les hauteurs de la commune de Barolo, le vin déroule en bouche un tissu tannique compact, mais poli par cinq années d’élevage, dont 28 mois en foudres. Il pourra continuer de se bonifier jusqu’en 2022, au moins. (48,75 $)
Je n’avais aucune attente particulière envers le Langhe Riesling 2016, Petracine (tout nouveau sur le marché), mais vu les standards de qualité auxquels la famille Vaira nous a habitués, j’espérais quand même ne pas être déçue… Et loin de décevoir, ce riesling piémontais – issu de vignes plantées en 1985 sur des sols sableux, semblables à ceux de Roero – s’est avéré l’une de mes belles surprises des derniers mois, côté dégustation. Beaucoup de profondeur, un heureux mariage de structure et de finesse, de la longueur et un large spectre de saveurs. Pas donné, mais excellent! (46,25 $)
Montréal a aussi reçu de la belle visite d’Espagne au cours du dernier mois: Carlos López de la Calle, de la maison Artadi, et Alvaro Palacios, la star du vignoble ibérique, venu présenter ses vins de Bierzo, du Priorat et de la Rioja.
Le vigneron espagnol le plus célèbre de sa génération a quitté sa Rioja natale en 1989, pour s’installer dans la région catalane du Priorat, où il a participé à la renaissance de vignobles historiques « endormis », aux côtés de René Barbier, Daphne Glorian et José Luis Pérez.
Son Finca Dofí 2015, Priorat est composé à 95 % de garnacha, plantés sur une parcelle orientée vers le nord-est, « comme la plupart des meilleurs crus de la région », de l’avis du vigneron. Chaleureux et porté par un grain serré, le vin a encore besoin de temps, mais sa longue finale vaporeuse aux parfums de kirsch et de garrigue et son équilibre d’ensemble, sont garants d’un bel avenir. (84,50 $)
Après avoir contribué à la résurrection du Priorat, Palacios s’est consacré à la mise en valeur de Bierzo où il a racheté une quinzaine d’hectares de vieilles vignes de mencía avec son neveu, Ricardo Pérez Palacios. Pour saisir le potentiel immense de ce terroir situé dans la partie ouest de Castille et Léon, il faut goûter le superbe Moncerbal 2015, Bierzo; raffiné, long, complexe et profond. À revoir dans 6-7 ans, au moins. (117 $)
Pour les soirs de semaine, Palacios produit aussi La Montesa 2015, sur le domaine familial de la Rioja orientale. Un rouge généreux et gourmand, auquel une forte proportion de garnacha confère une facture plus méditerranéenne que celle quasi bordelaise, souvent associée à la Rioja. Excellent rapport qualité-prix! (19,95 $)
Lui aussi en visite à Montréal en février, Carlos López de la Calle (Artadi) est venu présenter les vins de sa famille, qui a décidé de quitter officiellement l’appellation Rioja en 2015, notamment en raison de la lenteur du Consejo Regulador à reconnaître et à mettre en place un système de crus.
Le Valdeginés 2015 provient d’un vignoble de 6,5 ha, cultivé en agriculture biologique, situé dans une vallée étroite de la Rioja Alavesa, à 600 mètres d’altitude, orienté vers l’est et bénéficiant donc du soleil levant. La prise de bois était encore marquée il y a quelques semaines, mais le vin n’en offrait toute la mâche et le fruit souhaités dans un rioja de facture moderne. À boire vers 2024. (72,50 $)
Lui aussi situé à Laguardia, dans la Rioja Alavesa, le vignoble qui donne naissance au Viña El Pison 2015 a été planté en 1945 et est cultivé selon les principes de la biodynamie. Goûté à quelques reprise depuis une dizaine d’années, ce vin aux grandes ambitions (394,75 $) est particulièrement solide et concentré dans sa version 2015. Un vin immense, dont l’équilibre, la longueur et la profondeur sont indiscutables. À laisser dormir en cave pendant encore une dizaine d’années.
Pour une fraction du prix, je lui préfère en ce moment La Poza De Ballesteros 2015, qui offre beaucoup de volume et déroule en bouche un tissu tannique velouté, un fruit intense et une longue finale relevée et chaleureuse. (129,25 $)
Et pour être raccord, deux vins on ne peut plus français. Le premier, élaboré par les sœurs Juliette et Caroline Chenu, qui ont converti le vignoble familial (Louis Chenu & Filles) à l’agriculture biologique il y a quelques années. Bien qu’encore jeune, leur Savigny-lès-Beaune Premier Cru Aux Clous 2014 est déjà ouvert et agréable à boire. Élégant et ponctué de notes terreuses – très bourguignonnes. Tout y est, mais rien n’est en trop. (48,25 $)
Et, au risque de me répéter, ce vous suggère à nouveau de revisiter les vins de la famille Faiveley, plus important propriétaire de crus de la Côte-d’Or avec 126 hectares. Commencez le tour d’horizon avec le Mercurey 2014, La Framboisière, encore disponible en bonnes quantités dans le réseau. Si vous aimez le vin de Bourgogne dans sa forme classique, mettez-en quelques bouteilles de côté. (36,25 $)
Santé!
Nadia Fournier
Note de la rédaction: vous pouvez lire les commentaires de dégustation complets en cliquant sur les noms de vins, les photos de bouteilles ou les liens mis en surbrillance. Les abonnés payants à Chacun son vin ont accès à toutes les critiques dès leur mise en ligne. Les utilisateurs inscrits doivent attendre 30 jours après leur parution pour les lire. L’adhésion a ses privilèges ; parmi ceux-ci, un accès direct à de grands vins!