Soif d’ailleurs – Garrigue, soleil et tramontane

par Nadia Fournier

La semaine dernière, comme un ultime sursis avant que ne commencent à s’enchaîner les salons et autres événements-vin de l’automne, je suis allée me balader dans le Languedoc-Roussillon. Depuis le temps que je rêvais de la garrigue… J’ai été servie! Thym, romarin, ciste et lavande sauvage étaient au rendez-vous. Tout comme la vigne, magnifique avec ses feuilles tournant peu à peu au orange, et les paysages, à couper le souffle, entre mer et montagnes.

Immense croissant qui s’étend le long de la Méditerranée, le vignoble du Languedoc-Roussillon est le plus ancien et le plus vaste de France. Jusqu’à la fin des années 1960, cet océan de vignes avait pour seule ambition – encouragée par l’État français – de produire du vin bon marché, en quantité industrielle. C’est sans doute ce qui explique l’a priori négatif qu’entretiennent encore certains consommateurs – surtout français – envers les crus du sud.

Je dois cependant avouer que je n’ai jamais trop compris cette « mauvaise réputation ». Les vins du midi de la France font partie de mes références depuis aussi longtemps que je m’intéresse à la chose vineuse et la plupart de ceux que j’ai découverts il y a une quinzaine d’années n’avaient déjà plus rien de rustique. Ils étaient plutôt gourmands, mais équilibrés et le plus souvent franchement savoureux.

Enfin, je dois dire que la qualité des vins du Midi dégustés en préparation du Guide du vin 2018 et au courant de la dernière semaine, m’a semblé exceptionnellement élevée. Il y avait bien quelques bouteilles moyennes dans le lot, mais il y avait surtout assez de vins méritoires pour en faire son quotidien. Voici donc un condensé de ceux disponibles en ce moment à la SAQ. 

Les pieds dans les vignes 

La tournée a commencé lundi juste à l’est de Narbonne, dans le prolongement des Corbières maritimes, au Château Rouquette Sur Mer. Le domaine de la famille Boscary est l’un des piliers du secteur de La Clape, qui a accédé au statut d’appellation à part entière en juin 2015. La Cuvée Amarante 2014 est une fois de plus très séduisante par son nez de cacao, de garrigue et de cerise mûre. (18,65 $)

Le vignoble de La Clape, au bord de la Méditerranée, à la tombée du jour.

Le lendemain, la journée a débuté par une visite au Domaine d’Aupilhac. Lorsque Sylvain Fadat s’est installé à Montpeyroux en 1989, son vignoble s’articulait autour du lieu-dit d’Aupilhac et faisait la part belle au carignan, un cépage qu’on avait plutôt tendance à arracher qu’à replanter à l’époque, sous prétexte qu’il donnait des vins rustiques. « Je refuse de penser que le carignan n’a d’intérêt que lorsqu’il est vieux. Des jeunes vignes peuvent donner des résultats tout aussi intéressants, à condition d’être plantée sur des porte-greffes peu vigoureux et soumis à des rendements limités. » On est vite porté à lui donner raison quand on goûte sa cuvée Le Carignan 2015 (en importation privée via Le Marchand de vin).

En 1998, Sylvain Fadat a aussi fait l’acquisition d’une parcelle en coteau, située à 350 m d’altitude, aux portes du Larzac. Cette vigne en forme d’amphithéâtre était déjà cultivée il y a deux siècles, mais elle avait depuis été abandonnée. Son nom: Les Cocalières. Le vin blanc qu’il en a tiré en 2016 est impeccable! Les malos et l’élevage en fûts confèrent au vin une texture grasse, mais ils ne le dépouillent en rien de sa pureté ni de sa fraîcheur. Un blanc sérieux qui gagnera encore en nuances d’ici 5-6 ans. Domaine d’Aupilhac Cocalière blanc 2016 (29,35 $)

Sylvain Fadat en haut du magnifique vignoble de Les Cocalières, planté en 1998.

Juste après la visite à Montpeyroux, je me suis rendue à Jonquières pour rencontrer Olivier Jullien, un vigneron qui m’a donné tant de moment de plaisir par ses vins au cours des quinze dernières années. Après une quinzaine d’années à goûter – soyons honnête: à les boire – les vins du Mas Jullien, j’avais presque l’impression de connaître celui qui les façonne.

Qu’ils soient jeunes et polis par les années, ses rouges et ses blancs témoignent d’un désir sincère de traduire l’essence d’un lieu. Si vous êtes sensibles aux charmes des vins blancs du sud, vous voudrez sauter sur les dernières bouteilles du Pays d’Hérault 2015, disponibles dans les succursales Signature de Montréal et de Québec. Vibrant, irrésistible; un grand blanc de texture qui n’atteindra son apogée que vers le milieu des années 2020. Et encore…  (48,50 $)

Olivier Jullien devant la vigne de Carlan, dans les Terrasses du Larzac.

En rouge, le Terrasse du Larzac 2014, Autour de Jonquières, se distingue par son relief fruité et sa retenue dans la puissance. Un vin de très grande envergure qu’on pourra aisément l’oublier en cave jusqu’en 2024. Les vins d’Olivier Jullien ont depuis longtemps prouvé leur aptitude au vieillissement. (48,75 $)

Une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Jonquières, Nadia et Cyril Bourgne ont fait du domaine de La Madura l’une des propriétés les plus qualitatives de Saint-Chinian. Depuis son arrivée sur le sur marché québécois en 2002, leur cuvée Classic fait preuve d’une constance irréprochable et le 2014 n’y fait pas exception. Rassasiant et relevé des parfums de la garrigue, il offre, comme toujours, un excellent rapport qualité-prix-plaisir! (18,95 $) 

Installés au pied de la montagne Noire, dans le secteur des Causses, au nord-est du Minervois, Alain Rochard, Nicolas Gaignon, Carine et Laurent Farre ont acquis la propriété qui allait devenir le Vignoble du Loup Blanc en 2002. Les quatre associés ont vite converti le vignoble à l’agriculture biologique, puis à la biodynamie. En Minervois, ils produisent Le Régal 2015, qui séduit d’abord par son attaque en bouche ample et sa charge fruitée, puis se resserre en finale pour laisse une sensation un peu austère, ce qui n’est pas un défaut. On voudra le laisser reposer en cave ou l’aérer en carafe pendant une bonne heure. (21,10 $) 

Toujours dans le Minervois, le Granaxa 2014 du Château Coupe-Roses est vendu à la SAQ depuis une dizaine d’années et déçoit rarement. Composé à 100 % grenache, cultivé sur des sols argilo-calcaire recouvert de gros galets, le vin vibrant, salin et riche d’une foule de détails aromatiques. (25,55 $) 

L’autre moitié du Languedoc-Roussillon 

Le Roussillon est bien plus qu’un simple suffixe qu’on appose à la suite du Languedoc. Il se distingue de son voisin du nord par la morphologie de ses sols, par sa culture et par le caractère de ses vins. Ses habitants sont avant tout des Catalans, que l’histoire a fait Français en 1659. Les paysages de la région sont aussi plus accidentés et se dessinent entre le massif des Corbières et l’Espagne, entre le niveau de la Méditerranée et le Mont Canigou, qui culmine à 2 785 mètres d’altitude.

Tout au nord du Roussillon, à Vingrau, Hervé Bizeul est vite devenu une star, notamment pour sa Petite Sibérie, un vin culte vendu à plus de 300 $. Sans en égaler la puissance, la cuvée Vieilles vignes 2014 du Clos des Fées est taillé du même bois. Des parfums torréfiés, une forme pleine et solide, sans être trop intense ni trop capiteux. On voudra le laisser dormir encore jusqu’en 2022. (41 $) D’ici là, on pourra se régaler à petit prix avec Les Sorcières du Clos des Fées 2016. Issu d’une sélection de vieilles vignes de grenache et de carignan de 40 à 80 ans, ainsi que de jeunes vignes de syrah, le 2016 est éclatant de jeunesse. Juteux, gorgé de fruit et authentiquement roussillonnais, il offre une longueur remarquable pour moins de 20 $.

Non loin de là, à Espira-de-l’Agly, le vignoble du Mas Las Cabes, est conduit en agriculture biologique et donne de très beaux fruits, entre les mains de Jean Gardiès. On est vite séduit par l’attaque en bouche juteuse de son Côtes du Roussillon 2015, qui offre une profusion de saveurs de petits fruits rouges et de fines herbes. (18,40 $)

Envie d’un rouge un peu plus substantiel? Jean Gardiès signe aussi l’excellent Clos des Vignes 2013, issu de vignes de grenache noir et de carignan âgées de près de 70 ans et dont les rendements sont naturellement limités. Beaucoup de mâche et de concentration, mais aussi une élégance certaine. On peut aisément le laisser dormir en cave jusqu’en 2021, le temps qu’il atteigne son plein potentiel. (34,25 $)

Un peu plus au sud, au cœur du massif des Aspres, le vignoble de Denis Ferrer et de Bruno Ribière (Domaine Ferrer-Ribière) est lui aussi certifié biologique. Leur cuvée Tradition 2015 offre toujours beaucoup de consistance pour le prix. Assemblage de carignan, de grenache, de  syrah et de mourvèdre, le vin est un peu plus costaud que d’habitude en 2015, mais il n’en est pas moins agréable à boire dès maintenant. Surtout s’il respire en carafe pendant une demi-heure. (20 $)

Lever de soleil sur les vignes de Denis Ferrer et Bruno Ribière, dans le secteur des Aspres.

Enfin pour terminer, quelques recommandations de blancs singuliers, dont le Roussillon a apparemment le secret.

En importation privée, vous voudrez surveiller l’arrivée des blancs d’Olivier Pithon, représentées par l’agence Ward & Associés. La cuvée D18 fait partie de l’élite des vins blancs du Midi; structuré et hyper complexe, sa vitalité tenant davantage de la minéralité que de l’acidité. Pour les jours de semaine, Mon Petit Pithon blanc est tout aussi recommandable, sur un mode frais, croquant, mais lui aussi doté d’une salinité qui appelle la soif.

Si, comme moi, vous êtes tombé trop souvent sur ces vins blancs lourds et pommadés qui vous font regretter le plus insipide des vinho verde, la vue des mots «muscat» et «viognier» sur la même étiquette pourra vous faire craindre le pire. Or, Le Canon du Maréchal 2016 fait plutôt preuve d’une retenue qui le rend fort agréable. Muscat et viognier sont cultivés selon les principes de la biodynamie et le vin se déploie en bouche avec nuance. À moins de 20 $, on achète sans hésiter. (17,05 $)

Les vieilles vignes de grenache de Gérard Gauby sont entourées de garrigue et de forêt.

Et le tout dernier, pour flirter avec le fin du fin du Roussillon, essayez de mettre la main sur l’une des dernières bouteilles de Vieilles Vignes blanc 2015 (57,75 $) de Gérard Gauby, grand vigneron dont le domaine est situé à Calce. Un vin blanc sublime, presque aussi dense et structuré qu’un rouge et pourtant vibrant de fraîcheur et de jeunesse. Pas donné certes, mais ce vin de terroir est à retenir parmi les meilleurs blancs de France. À découvrir…!

Santé!

Nadia Fournier

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