Soif d’ailleurs – L’identité
par Nadia Fournier
Le sujet est apparemment incontournable. Dans les médias – qu’ils soient traditionnels ou sociaux – les opinions quant à la définition de l’identité des peuples se multiplient, quand elles ne divisent pas. Mais au fait, qu’est ce qui nous définit? Il y a des mois, des années, que la question me trotte dans la tête. Au moment de clore cette édition, je n’avais toujours pas trouvé la réponse parfaite. Mais l’année 2017 aura certainement beaucoup nourri ma réflexion.
Alors que je commençais la rédaction de ce guide, je suis tombée sur un billet éditorial de Simon Jodoin dans le magazine Voir, qui proposait d’aborder l’identité québécoise à travers les sens. « Une identité, écrivait-il, ça se goûte, ça se mange, ça se contemple, […] ça se sent sur les battures, dans les bois humides… » L’idée m’a plue et elle a fait son chemin. Et si, au fond, ce qui définit une nation reposait, en partie, sur tous ces éléments qui composent son terroir et sur le désir de ses citoyens de les mettre en valeur?
J’ai eu un autre élément de réponse en février dernier, alors que je participais à la 6e édition de Pinot Noir NZ. Cette conférence de trois jours se tenait à Wellington, en Nouvelle-Zélande, et proposait d’analyser en profondeur le pinot noir à travers un thème, Turangawaewae, le « lieu où l’on existe ». Lors de l’allocution d’ouverture de cette même conférence, Nick Mills, vigneron dans Central Otago, se ralliait à ce principe fondateur de l’identité maorie, présentant la vigne comme un vecteur de relation avec la terre, un moyen par lequel l’homme exprime l’essence d’un lieu. Toujours à Wellington, l’auteure britannique Jancis Robinson abordait la question de la vie microbienne des sols et de son impact sur l’expression du terroir. Un sujet dont on entend de plus en plus parler dans le vignoble de Bourgogne.
D’ailleurs, les Néo-Zélandais sont loin d’avoir le monopole en matière de rapport identitaire avec la terre et le vin. Les Bourguignons ont leurs climats depuis des siècles. Le reste de la France a son terroir, officiellement classé depuis 1935. Les Allemands ont le bodengeschmack: « le goût de la terre ». Nos voisins du sud, eux, emploient les expressions « somewhereness » ou « sense of place » pour traiter du vaste sujet qu’est le terroir, mais seulement depuis le début des années 1980. Avant, ce concept était à ce point absent du discours en anglais que Anthony Hanson, dans la version originale de Burgundy, publié en 1982, n’employait pas une seule fois le terme « terroir ».
Pourquoi donc cette fascination nouvelle pour la terre et pour le lieu, pour ce goût qu’ils confèrent aux aliments et aux vins ? Doit-on y voir une réaction à l’homogénéisation du goût ?
Les vins défectueux qui se frayent un chemin jusque sur les tablettes de la SAQ se font plutôt rares aujourd’hui. Les vins ennuyants – et sucrés! – ne manquent pas, malheureusement. Ces nouvelles cuvées sont au vin ce que les blockbuster sont au cinéma: tellement prévisibles qu’on connaît la fin avant même d’avoir vu la bande-annonce.
Comme remède aux saveurs préfabriquées, l’authenticité et le retour aux sources s’imposent. L’agriculture biologique connaît de plus en plus d’adeptes, le bois neuf et les procédés industriels, moins. Et avant que le monde ne se noie dans un océan de cabernet et de chardonnay, vivement que les conservatoires de cépages anciens essaiment et nous ramènent aux origines : la vigne. En Afrique du Sud, Rosa Kruger et son équipe sillonnent la région du Cap à la recherche de vieux vignobles laissés à l’abandon et menacés d’arrachage. Elle les confie ensuite à des vignerons qu’elle sait « suffisamment sensibles pour leur faire honneur », comme Eben Sadie, Adi Badenhorst, Chris et Andrea Mullineux. Leurs vins sont exceptionnels. Des vins à l’identité forte, qui portent l’empreinte de leur lieu de naissance.
Ce qui nous ramène à l’identité. Que goûte le Québec? Que goûtent la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche, la Grèce, le Liban, la Turquie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud?
Chaque année, en rédigeant Le guide du vin – dont vous lisez d’ailleurs l’introduction, en version bonifiée – je m’étonne encore devant l’immense diversité de produits qui s’offrent à nous. Il y a au Québec une clientèle assoiffée d’authenticité et de découverte, et pour leur plus grand bonheur, un monde de vignerons dévoués à étancher leur soif. Entre l’offre à la SAQ, l’importation privée et les vignobles d’ici, nous avons la possibilité de goûter tant de vins sincères, qui parlent à nos sens et qui racontent l’histoire de leur origine. Ces vins sont autant de remparts contre la standardisation et, à leur manière, autant d’invitations à découvrir le monde plutôt que de nous cantonner dans nos vieilles habitudes et de nous replier sur nous-mêmes.
Bonne découverte!
Chenin de course
L’exploration débute avec quatre expressions singulières du chenin blanc, en Afrique du Sud. À commencer par le Chenin blanc 2015 Granite, de Chris et Andrea Mullineux, produite sur les sols de granite décomposé de Paardeberg, un secteur relativement frais au sein de la région parfois torride de Swartland. Cette particularité climatique permet de récolter des raisins à parfaite maturité, mais ayant conservé une haute teneur en acidité. Un vin distingué, très complet et minéral, qui pourra se bonifier pendant au moins 7-8 ans. (92 $)
Le Chenin 2014 Schist tire plutôt son intensité des sols de schiste de Riebeek (Swartland), qui sont très chauds et filtrants. Le vin qui en est issu laisse en bouche une sensation tannique et concentrée. Les saveurs se dessinent néanmoins avec retenue et culminent en une longue finale umami qui évoque les fino et manzanilla. Pas donné, mais on a affaire à un vin de très grande envergure. Tous les deux en exclusivité dans les SAQ Signature. (94 $)
Qu’ils soient secs, demi-secs ou liquoreux, les chenins de Ken Forrester sont toujours impeccables. Le Chenin blanc FMC 2015 est le fruit de cinq vendanges successives sur une même parcelle, ce qui permet de récolter les raisins à une maturité optimale, sans que le pourcentage des baies affectées par le botrytis n’excède 5 %. Un autre vin riche et intense à laisser dormir en cave. (61,50 $)
Plus abordable, le Chenin blanc 2016, Old Vine Reserve est issu de vignes âgées de 37 ans et s’avère plutôt riche en composants phénoliques, ce qui lui donne une allure presque tannique. Encore jeune et marqué par de accents de réduction, mais élaboré avec sérieux. (19,80 $)
D’autres blancs et rouges d’Afrique du Sud
En plus de sa désormais célèbre gamme Sécateur, Adi Badenhorst signe le White blend 2014, un assemblage de chenin blanc, roussanne, grenaches blanc et gris, verdelho, colombard, viognier, chardonnay et sémillon, entre autres! Ce cocktail inusité donne un vin ample, complexe, généreux et long en bouche qui n’est pas sans rappeler les meilleurs blancs du Roussillon. Très belle bouteille! (38,75 $)
Dans le même esprit, la famille Sadie concocte un assemblage inusité de onze cépages blancs (chenin, grenache blanc, sémillon, clairette et viognier, entre autres) qui s’enracinent dans la mosaïque de sols qui constitue la région de Swartland (argile, sable, schiste, ardoise, granite décomposé et koffeeklip, etc): le Palladius 2014. Inhabituel, mais incontestablement délicieux; un grand vin blanc de texture! (88 $)
Depuis près d’une vingtaine d’années, l’oenologue Mark Kent a fait de Boekenhoutskloof, dans Franschhoek, l’une des références du Cap en matière de bons rapports qualité-prix-authenticité. Ce Sémillon 2013 issu de très vieilles vignes et complété d’une petite proportion (6 %) de muscat de frontignan est l’une de mes découvertes de l’année. Le vin est élevé sans soufre, mais à très basse température, afin d’éviter la transformation malolactique. Une bouche hyper complexe, solide et structurée, où les saveurs de miel et d’amande fraîche s’expriment avec retenue. Lui aussi construit pour la garde. Un 2004 goûté récemment était encore en bonne forme. SAQ Signature. (39,75 $)
Quelques syrah, pour les journées froides
Adepte de surf et de biodynamie, Johann Reyneke produit aussi une excellente Syrah Reserve dans Stellenbosch. Manifestement élaborée avec des raisins de première qualité; les saveurs sont nuancées, le grain tannique dense et fin. Plénitude, longueur et avenir prometteur. (80 $)
L’emblème de la propriété familiale des Sadie est la cuvée Columella 2013, un vin intense et raffiné qui résume à lui seul tout le potentiel de la région de Swartland. Toujours vinifié avec les grappes entières, cet assemblage à dominante de syrah repose sur un grain à la fois mûr et velouté, tissé assez serré, nerveux et vibrant de jeunesse. Exclusivité SAQ Signature. (122 $)
Toujours dans Swartland, sur les sols de granite décomposé de Paardeberg, la Syrah 2014 Granite des Mullineux adopte une allure plus leste et délicate, bien que vinifiée à 100 % avec les grappes entières. Déjà somptueux et bon pour encore au moins 7-8 ans. SAQ Signature. (145 $)
La nature chaude et aride des sols de schiste donnent à la Syrah 2014, Schist une structure plus solide; son grain tannique rappellent d’ailleurs certains vins de la fameuse côte Brune de Côte-Rôtie. Encore jeune et austère lorsque goûté au printemps dernier; il faudra le revoir vers le milieu des années 2020. SAQ Signature. (140 $)
Enfin, plus abordable et encore disponible dans une vingtaine de succursales, le Syrah 2012 The Glass Collection de Glenelly mérite vraiment d’être connu. Ce domaine historique situé dans les hauteurs de Simonsberg, dans l’appellation Stellenbosch a été racheté en 2003 par May-Éliane de Lencquesaing, ex-propriétaire du Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande et Adi Badenhorst y agit comme consultant. Un excellent vin déjà ouvert et prêt à boire. (18,50 $)
Du côté de Sancerre…
Depuis qu’ils ont pris les rênes du domaine familial, Alphonse Mellot Junior et sa sœur Emmanuelle ont réussi à porter encore plus haut et plus loin la qualité de ses vins de Sancerre qui jouissaient déjà d’une excellente réputation. Ils ont aussi créé de nouvelles cuvées, comme Les Herses, un Sancerre rouge qui puise dans des sols de silex une sève et une profondeur digne des vrais pinots noirs de terroir. SAQ Signature. (48,50 $)
Chaque année je le répète (peut-être parce que c’est vrai), La Moussière gagne en précision. Le 2016 offre des saveurs pures et mûres, sans ces notes végétales qu’ont certains vins de l’appellation. Du nerf, du gras, une sensation minérale et une structure rare dans les blancs de sauvignon. Déjà excellent, mais on peut le boire sans se presser jusqu’en 2024. (28,85 $)
Pour le Sancerre 2014 Edmond, il faudra être beaucoup plus patient. Car même âgé de 3 ans, ce vin est encore au berceau. Un sancerre hors catégorie, de ceux qui peuvent aisément vieillir pendant une quinzaine d’années, issu des vieilles vignes de La Moussière, âgées de 40 à 87 ans, et cultivées en biodynamie sur les caillottes et les kimméridgiens. L’expression est galvaudée, mais celui-ci le mérite largement: grand vin! En commande spéciale par le biais du Courrier Vinicole. (72,75 $)
À la vôtre!
Nadia Fournier
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